L’Unesco et l’association mondiale des sciences sociales ont publié le rapport mondial sur les sciences sociales en 2010. Un rapport inhabituel en ce qu’il insiste tout autant sur les orientations de la recherche en SHS que sur les conditions de sa fabrication.
Pour l’instant uniquement en anglais [1] , ce Rapport propose d’examiner non pas l’état des réflexions sur le monde de quelque expert accrédité, mais les conditions de production des savoirs sur la société.
On peut y lire des travaux sur la géographie institutionnelle des sciences sociales, (en Amérique du Nord, Amérique latine et Caraïbes, Asie, Pays Arabes, Afrique Sub-Saharienne, Chine, Europe, Russie et ancienne URSS, Pacifique), sur les territoires des disciplines et les variations régionales, les classements de universités et les effets des structures d’évaluation sur la science sociale, l’impact des modes de financement, la relation entre sciences sociales et politiques, le rôle des "think tanks", agences et ONG, entre autres. On y lit beaucoup de travaux sur la bibliométrie et ses limites, de même qu’une véritable réflexion sur le lien entre les choix thématiques et les formes du travail. On y trouve un effort de quantification de la recherche en science sociale.
Cet effort réflexif est exceptionnel et encourageant. Il ouvre la piste pour cette réflexion sur le lien très étroit -malgré nos cris d’orfraies- entre la politique (financement, institutions, organisation, évaluation) et le contenu de nos travaux.
Il n’y a pas une seule science sociale, mais plusieurs sciences sociales et la coupure n’est pas uniquement disciplinaire ou Nord/Sud. Evidemment, on n’apprendra rien en disant que les articles montrent plutôt un rééquilibrage entre centres et périphéries, mais on voit dans le détails qu’il n’y a pas un centre mais "des centres", plus nombreux que ne le laisse supposer notre propre rhétorique sur notre savoir "social" ; qu’il y a une variété moins importante que prévue de "périphéries" (en tout cas aussi nombreuses que les centres), que les liens historiques (et coloniaux) ne sont pas les seuls qui persistent, et bien d’autres choses encore.
Toutes les disparités sont extrêmement persistantes ; rien d’étonnant ? Si, justement, on a toujours prôné le métissage, les rapprochements, la multidisciplinarité. Or le brain drain est persistant, l’emploi des diplômés continue à être particulièrement précaire, alors même que la mondialisation nous incite à plus de travaux, que la population de "chercheurs" en sciences sociales augmente, que la demande en expertise sociale augmente, que les sources de financement sont beaucoup plus abondantes et diversifiées.
On a aussi beaucoup prôné la fin de la nation et le mulitculturalisme ; le principal obstacle à tout cela semble bien la disparité des situations. Une nation est d’autant plus "nationale" qu’elle est forte et qu’elle n’est pas soumise aux aléas des échanges mondiaux. C’est aussi vrai de sa population d’enseignants et chercheurs en science sociales. Pas plus qu’on n’assiste à une homogénéisation des thématiques si ce n’est sous l’effet des donneurs d’ordres, un ensemble d’acteurs bien plus importants aujourd’hui où les guichets se multiplient et l’injonction à chercher de l’argent là où il se trouve est plus forte que jamais.